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mardi 5 décembre 2017

Lettre ouverte aux artistes et artisans francophones et francophiles



Projet France2022

Lettre ouverte aux artistes et artisans francophones et francophiles




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Exemple de pavage de Penrose



Résumé : lettre manifeste à destination des artistes, des artisans et de tous ceux qui, dans leur travail, ont à coeur d'oeuvrer pour embellir leur environnement et pour offrir à chacun de multiples raisons de se réjouir, de repartir après avoir été blessé, de prendre soin de qui n'en peut plus et d'aimer sans relâche.



"Il ne voulait plus d'un monde 
avançant immuablement sur ses rails,
tout ce qui déraillait, si je puis dire, l'enchantait :
 l'art subversif, les révoltes corrosives, 
les inventions outrancières, les lubies, les excentricités ; 
et jusqu'à la folie."

Les Echelles du Levant, p. 57
Amin Maalouf




"[...] puisque tu es l'oeuvre de Dieu,
attends la main de ton artisan ;
il fera tout avec une parfaite convenance.
Offre-lui un coeur souple et docile,
conserve l'empreinte que te donne l'artiste,
aie en toi quelque-chose de plastique
pour ne pas perdre par ta dureté
la trace de ses doigts.
En gardant le modelé,
tu monteras vers la perfection
car l'art de Dieu
voilera ce qui n'est que limon.
Ce sont ses mains
qui ont façonné en toi ta substance ;
voici qu'il te revêtira
 tu seras si splendidement orné(e)
que le roi lui-même désirera ta beauté.
Si tu lui livres ce que tu as en propre,
c'est-à-dire ta confiance et ton obéissance,
tu recevras l'impulsion de son art
et tu seras l'oeuvre parfaite de Dieu"

Saint Irénée





Terre d'Artistes






Chers ami(e)s


1. Cette lettre s'adresse à tous ceux qui, en France et ailleurs, exercent un art parmi la multitude de ceux que l'humanité n'a cessé d'engendrer pour enchanter le regard, l'ouïe, le toucher, le goût et l'odorat de chacun d'entre nous et, au-delà même de ses puissances sensorielles, pour réjouir notre âme, notre esprit, notre corps et notre coeur. 

2. Pour enchanter, pour réjouir mais aussi pour nourrir, pour guérir, pour instruire tout homme en pèlerinage sur une planète où chaque instant peut devenir une occasion d'apprendre et de se perfectionner dans l'art d'aimer puisqu'au fond, tout art authentique a pour but suprême d'engendrer l'amour le plus noble en suscitant, dans le coeur de ceux qui sont destinataires de ses oeuvres, le désir de croître en vertu et en sainteté, non par soi-même et au prix d'efforts dont on se vante, mais par l'effet d'une communion entre les mondes visibles et les mondes invisibles comme par la puissance d'une Présence salvifique capable de venir à bout de toutes nos errances malheureuses. En nourrissant nos sens de manière saine, c'est-à-dire sans abuser d'illusions trompeuses et en respectant les lois admirables du vivant, vous contribuez à élever chacun de nous vers des sommets qu'il n'aurait pu atteindre en restant seul, isolé, livré à ses seules forces.

3. Non seulement vous pouvez contribuer à nous faire gravir des monts qui offrent à notre regard des mondes insoupçonnés mais vous pouvez encore tirer du gouffre celui qu'une vie d'errance avait démoli, usé prématurément, ravagé ... au point de se sentir exclu de la société des vivants et de se croire condamné à maudire l'existence, la vie, la race des hommes ; condamné à nier tout dessein bienveillant ; condamné à rester en dehors de toute communion fraternelle.

4. En surmontant vos propres souffrances, en tenant bon au milieu des contradictions, en traçant votre sillon en l'absence même de toute reconnaissance, vous livrez un témoignage essentiel : ce que vos contemporains, trop pressés, indifférents ou distraits, auront négligé, peut devenir une nourriture de choix pour ceux qui leur succéderont car nombre d'artistes sont en avance sur leur temps. S'ils peinent aujourd'hui ce peut être parce qu'ils ont choisi de faire entendre une musique qui ne cherche pas à s'imposer par la force, par le clinquant ou la facilité. S'ils ne sont pas regardés en ce moment c'est parce qu'ils ont refusé de céder à l'air du temps, de surfer sur les vagues d'une mode passagère.

5. "La beauté sauvera le monde" ...  (intermède recommandé pour ceux d'entre vous qui souhaiteraient approfondir ces deux liens : Arts et Beautés d'une part et, d'autre part, Beautés et Salut. Deux liens qui engendrent un troisième lien : Arts et Salut.

6. Avant d'explorer ce lien subtil entre les arts et le Salut, intéressons-nous au rôle des arts dans la cité puisque cette lettre ouverte aux artistes et aux artisans est d'abord motivée par une intention politique (projet France2022) avant que d'être inscrite dans une perspective eschatologique même si, en définitive, cette dimension commande tout le reste : faute de préciser la nature du salut que souhaite promouvoir tel ou tel projet politique, celui-ci devient illisible par manque de cohérence et risque même de propager des crimes or tout électeur exigeant ne peut se contenter d'adhérer à de vagues promesses qui ne disent rien du fin mot de l'histoire et toute électrice exigeante ne saurait succomber aux charmes envoûtants d'un ordre inique qui enverra un jour, à la potence ou sur des champs de bataille, le fruit de ses entrailles, en invoquant des prétextes fallacieux. 

7. De purs esprits, animés d'intentions fort louables a priori, prétendent qu'il faut entrer dans le champ politique en laissant sur le seuil tout présupposé religieux. Voilà bien le fruit d'une méconnaissance profonde des motivations humaines que tout véritable artiste, tout artisan authentique se garde de croquer : il sait bien qu'en ce monde visible, le moindre de nos gestes et la moindre de nos paroles revêtent des significations multiples qui peuvent demeurer cachées et qu'un coeur ouvert se prend au jeu de décrypter. Que serait un art privé de silences ? Que serait un art sans mystères, sans  profondeur abyssale, sans travail lent, patient et longtemps voilé ? Un art de façade. Un amuse gueule vite oublié. Une forfaiture. Un objet jetable. Un outil de propagande. Une tromperie de plus. Une coquille vide.


8. Tandis que beaucoup d'entre vous sont tentés, comme tout autre citoyen, par une participation aux multiples débats politiques qui agitent le monde médiatique, une question parmi tant d'autres se pose : "Que puis-je dire de plus, politiquement parlant, que ne dirait pas déjà l'exercice de mon art ?". Question en corollaire : "Tout ce temps que je vais passer à prendre position pour tel ou tel parti ou candidat, à m'informer pour ne pas passer pour un guignol ..., tout ce temps n'est-il pas au fond perdu et même volé au perfectionnement de mon art ?". D'où le choix courant de nombreux artistes et artisans de préférer rester dans l'ombre de leur atelier physique et intérieur afin de ne pas dilapider l'énergie dont ils ont besoin pour construire une oeuvre qui témoigne à sa façon du génie humain et donne à qui veut bien en prendre connaissance le désir de s'engager dans la cité selon ses talents et ses charismes. Ceux qui, au contraire, s'avancent pour prendre parti courent de nombreux risques. Les en blâmer serait stupide. Les encenser pour ces prises de risque ne le serait pas moins. Chacun trace un chemin dans la jungle des opinions tandis que la vie foisonnante de l'esprit ne tarde pas à dissiper les mirages et les sentiers hasardeux : ne subsistent dans le maquis des postures et des positions que les traces des bêtes qui ont le pied sûr et savent d'instinct où le poser. De là à s'intéresser d'emblée aux bêtes de scène, il y a un petit pas que nous nous garderons de franchir de prime abord puisque cette lettre s'adresse à tous, qu'ils soient reconnus et même adulés ou qu'ils travaillent dans une pénombre si dense que nul ne les a encore remarqués. Il y a enfin tous les artistes qui, sans se prononcer pour tel ou tel candidat politique ou en prenant parti, peu importe au fond, insuffle une énergie et des idées que nous ferions bien de recevoir avec curiosité, sympathie et gratitude car leurs propositions sont riches de développements prometteurs pour l'humanité et, en particulier, pour notre jeunesse. Un seul exemple suffira à illustrer cet apport magistral et les mines d'horizon offertes, celui d'Alexandre Desplat, à propos de l'enseignement de l'écriture musicale dès les classes de maternelle et tout au long du cursus scolaire de nos enfants : "La musique, art organisé (vidéo 4 mn)". Ses arguments sont repris et développés dans la tribune du projet France2022 : "Pour une école renouvelée en France".

9.  Cette lettre est destinée en premier lieu à tous les artistes qui n'oublient pas la dimension artisanale de leur métier et qui refusent catégoriquement de se moquer du public, de le prendre de haut, de le tromper ou de l'égarer par des productions de bas niveau voire bêtement provocatrices, insultantes pour le genre humain tout entier ou pour l'une de ses innombrables chapelles ... Cette lettre est donc aussi destinée à tous les artisans qui mettent un point d'honneur à travailler pour embellir la vie d'autrui, à tous ceux qui n'oublient pas la dimension artistique de leur métier : chacun de leurs gestes est ordonné à une fin dont la noblesse est d'autant plus grande qu'elle demeure souvent cachée aux yeux du profane. Jour après jour, ils sont à l'oeuvre sans recevoir la moindre reconnaissance, plus par ignorance que par ingratitude puisque les tours de force qu'ils accomplissent échappent à celui qui n'est pas du métier.

10. Parmi les oeuvres qui sont à la portée de chacun d'entre nous, retenons un instant toutes celles qui manifestent le désir de transmettre un héritage sain, un savoir-faire essentiel, une tradition vivante, une clef de compréhension primordiale, une attitude juste, un geste sûr et qui révèlent par là le souci d'aider les personnes dans leur quête d'une dimension artistique, dimension sans laquelle les réalisations les plus abouties sur d'autres plans manquent pourtant de relief, de profondeur, de légèreté, de dynamisme, d'enthousiasme ... Dans un monde où tout semble à la portée d'un clic voire d'un claquement de doigt alors que l'expérience âpre et concrète du quotidien nous prouve le contraire, il est bon et sain de rencontrer en chemin un passeur d'humanité qui connaît les rudes heures d'un labeur acharné, qui a pris conscience qu'une notoriété authentique est le fruit d'échecs surmontés ou d'erreurs corrigées, qui sait la difficulté de percer dans un domaine où tant de prodiges se sont exprimés et où tant d'autres, aux quatre coins de la planète, occupent déjà le devant de la scène.

11. Par votre travail inlassable sous la houlette d'une conscience affranchie du besoin de paraître à tout prix, vous offrez à chacun le loisir de se poser, d'être en vérité, sans faux semblants, sans faux fuyants. Vos oeuvres témoignent d'une plénitude qui n'a pas besoin d'éloges ou d'honneurs pour se tenir debout : un silence admiratif, une parole simple et bienveillante, une critique judicieuse vous suffisent. Tout le reste est superflu, vanité, bruit sans intérêt de sorte qu'aucune critique acerbe, qu'aucun jugement imbécile n'est en mesure d'ébranler votre détermination : même si la voie que vous avez choisi d'emprunter ne recueille pas le nombre de suffrages que vous escomptiez, vous demeurez en cet équilibre intérieur qui manifeste une maîtrise de vous-même propice à l'épanouissement serein de vos talents. Diane Ducret en fut au printemps 2018 une parfaite illustration (vidéo 13 minutes).

12. Vous savez que, quelle que soit la voie que vous aurez choisie, se trouveront toujours en chemin des détracteurs, des suffisants, des ignares, des malveillants qui ne manqueront pas de vous reprocher d'être trop innovant ou ... trop classique ou trop en vue ! ... et bien d'autres choses encore ... Ceux-là n'ont pas encore compris qu'il existe au moins deux façons générales d'être artiste :

Commençons par la façon d'exercer son art dans l'air d'un temps sulfureux: ignorer le génie des anciens ou le passer sous silence ou le taxer de passéisme pour se croire autorisé à bousculer les us et coutumes, quitte à pondre des horreurs, à produire de la vinasse et même des poisons. Dans cette conception de l'art, le savoir-faire et le métier sont relégués au rang d'accessoires. Seuls compte le caractère insolite de la production, l'inattendu, le provoquant, ... Seul importe alors de casser les codes juste pour détruire et pour blasphémer, pour déranger et provoquer, pour rendre public un malaise intérieur si profond qu'il ne semble pas trouver d'autres moyens que de détruire et de déconstruire.

Poursuivons par la moins contemporaine à ce jour aux yeux de ceux qui confondent art et innovation : la façon d'exercer un art en s'inspirant du génie de ses prédécesseurs sans vouloir, à toute force, faire preuve d'originalité ! Manière qui intéresse au premier chef tous ceux qui participent à la sauvegarde, à la restauration et à la promotion des oeuvres anciennes. Angle de vue, où par une singulière ironie de l'histoire, l'innovation et les progrès des techniques ont une place de choix ! Dégagés de toute prétention esthétiquement novatrice, l'artiste et l'artisan qui restaurent vont faire preuve d'un talent d'observation prodigieux, d'un respect admirable, d'un sens magistral de l'oeuvre à rétablir dans sa majesté et dans son intégrité donnant, à qui veut bien s'arrêter pour contempler, une leçon de patience et d'humilité dont nos temps si pressés ont grand besoin : rien de proprement nourrissant ne s'accomplit en un seul jour et sans quête passionnée d'une perfection tous azimuts : perfection de l'inspiration, de la forme, de l'adéquation de la forme et du fond, du discours, de la connaissance des techniques à mettre en oeuvre, des gestes à poser, ... Dans un espace où certaines causes sont sur-médiatisées tandis que tant d'autres restent orphelines et dramatiquement occultées, force est de constater que le parti pris de l'hybris (ou hubris) choisi par quelques-uns jette une ombre épaisse sur d'innombrables métiers qui mériteraient d'être davantage mis en lumières car ils portent en eux une telle vigueur naturelle que les méconnaître s'apparente à l'ignorance manifestée par ces enfants qui confondent menthe fraîche et dentifrice ou pavé droit enrobé de chapelure et poisson vivant ; ignorance manifestée par ces enfants, ces jeunes et ces moins jeunes qui finissent par s'attarder sur des oeuvres de pacotille tandis qu'ils demeurent incapables de saisir la magnificence et la "magnifi-science" ! de tant de chefs d'oeuvre ... L'éloignement de l'oeuvre des anciens, la coupure d'avec la tradition vivante d'un art  et la recherche effrénée de la singularité ne produisent que des erzatz qu'un monde pourtant affamé de beauté, de spiritualité, de joie et de paix ne peut plus digérer et qui s'en trouve intoxiqué au point d'en être profondément malade et désorienté.



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13. D'autres critiques profiteront d'une fenêtre de tir bien en vue pour passer sur vous une colère qui ne vous était pas destinée, une rancoeur que votre seule présence aura déclenchée. Ne vous laissez pas ébranler par cette fureur : il lui fallait un exutoire. Vous vous trouviez là, non par hasard ou par inadvertance mais par miracle puisque l'artiste et l'artisan ont cette faculté de détourner les débordements d'une violence qui manifeste une indigence fondamentale : l'incapacité à exprimer sa douleur, sa souffrance autrement qu'en détruisant de façon systématique et même irréversible.







14. En bâtissant une oeuvre au long cours, vous témoignez d'une force de plus en plus utile en ce monde : la patience rendue capable de tout endurer quand nous sommes seuls mis en cause, patience qui se double d'une énergie farouche quand il s'agit de prendre la défense d'une personne opprimée. Au long des heures où vous cherchez inlassablement à parfaire votre art, vous fortifiez en vous et autour de vous la capacité d'intervenir dignement au milieu des épreuves les plus redoutables comme des plus ordinaires. L'objet que vous avez façonné transmet à qui veut bien prendre la peine de s'arrêter et de le contempler la force de tenir, de se relever, d'avancer ... contre vents et marées.

15. Les possibilités d'enregistrement de l'éphémère rendent de plus en plus caduques la distinction que l'on pouvait être tenté de faire autrefois entre la représentation d'un moment et l'ouvrage gravé dans le marbre, le bois, la pierre, le papier, la pellicule ... mais il vaut la peine de rappeler que tout geste digne d'être conservé s'inscrit toujours dans un fond mnésique accessible par des voies surnaturelles de sorte que l'artiste ou l'artisan qui est à l'oeuvre laisse non seulement une empreinte sur la matière sous la forme d'objets plus ou moins volatiles mais encore participe lui-même aux séquences "cinématographiques" qui retracent son parcours, séquences "visibles" en esprit. Ainsi peut-on comprendre, par exemple, que la Passion du Christ a été "revue" en esprit et/ou dans leur chair par des saintes mystiques : Marthe Robin, Thérèse Neumann ou Anne-Catherine Emmerich ou des saints mystiques : Padre Pio, François d'Assise ou Charbel.

16. Au milieu des échecs les plus cuisants à vue humaine, le rappel de l'inscription de nos actions dans un fond mnésique nous invite à ne jamais désespérer : même lorsque le résultat de nos efforts ne paraît pas présentable à un public exigeant, notre labeur n'est pas perdu. Il en subsiste une trace en nous-même qui nous donnera de progresser mais il en reste aussi une mémoire qui nous dépasse et qui s'offrira un jour comme contribution à la rédemption du monde. C'est dire ici l'importance de toute geste humaine en quête de beauté et de vérité, de justesse : aussi éloignée soit-elle de toute mise en scène, elle est, en elle-même, un trésor impérissable. C'est dire aussi que l'exécution d'une oeuvre extérieure ne doit jamais ternir en soi l'oeuvre encore plus essentielle : la sanctification du temps, cette durée qui demeure au service d'une élévation spirituelle de l'artiste et de ceux qui l'approchent, non par soi-même mais par l'effet d'une grâce surabondante. Tout en agissant, l'artiste et l'artisan vont se laisser transformer afin que chaque minute de l'exercice de leur art devienne digne d'être captée et enregistrée. Ainsi en témoignaient les acteurs réunis pour un spectacle donné à l'automne 2018 au Théâtre 13 jardin à Paris : l'Arche d'Olivier Denizet, Suzanne Legrand et Victor Lockwood.


17. Dans un monde où il semble qu'il faille sans cesse courir, produire davantage, tout savoir et tout connaître, avoir tout vu et tout entendu, votre art nous renvoie vers l'essentiel : apprendre à se tenir immobile, apprendre à contempler, apprendre à percevoir ce qui se cache dans les instants les plus ordinaires ; apprendre à voir, à sentir, à toucher, à goûter et à entendre sans que s'interpose entre l'objet artistique et mes sens un tiers parasite : une urgence de plus, une parole superflue, une contrainte de trop, ... L'objet de votre art suspend le cours frénétique d'un temps lancé à pleine vitesse on ne sait pas toujours vers quoi.

18. Que l'objet d'art soit en cours de réalisation parce qu'il est le fruit d'une interprétation et/ou d'une improvisation sur le vif ou qu'il soit "achevé" à la suite d'une composition antérieure, il se donne dans l'instant présent pour ressaisir des éléments d'un passé qui n'est plus et pour préparer un avenir en germe. Il se situe dans un entre deux que nous pourrions trop vite oublié, emportés que nous sommes par nos occupations incessantes. Il nous aide à faire le point, à savoir où nous en sommes vraiment avant de repartir et, peut-être, d'infléchir la direction que nous pensions prendre avant cette rencontre : ayant touché le réel avec plus d'acuité par l'entremise de votre art, il nous sera donné d'aller vers un but moins futile, plus altruiste, moins préoccupé de gains à la sauvette et plus soucieux d'être à notre tour nourrissants pour qui souffre d'être mis de côté, ignoré, banni ou éliminé par la course des affaires ... incessantes.

19. En remettant, sans vous lasser ni vous décourager, votre ouvrage sur le métier,  vous transmettez, à qui veut bien en saisir l'occasion, le goût de parfaire son travail et de le considérer non comme un pensum, un gagne pain misérable mais comme une oeuvre à accomplir dans la durée, jour après jour, dans un temps où s'enchevêtrent échecs et réussites, déceptions et satisfactions, élans et blocages, heureuses rencontres et mésaventures, ... sans jamais nous détourner d'une quête qui va bien au-delà de ce qui est perceptible : guéris de la recherche d'une vaine gloire, nous tendons vers ce qui n'a pas de prix, qui ne se monnaye pas. Nous prenons le temps de sanctifier le don par excellence que nous octroie la vie : ces heures et ces minutes que l'esprit le plus aiguisé ne sait dire d'où elles viennent vraiment ; ces heures et ces minutes dont il cherchera à déchiffrer le sens tout au long d'une vie de labeur acharné et, si possible, joyeux.

20. Ainsi votre art rejoint-il le travail de la grâce qui s'opère dans une âme vouée à la prière : quand un moine ou une moniale consacre de nombreuses heures à l'oraison, à la méditation ou à l'étude, le temps dévolu à ces travaux n'entre pas dans la foire des commerces où chacun tente de tirer son épingle du jeu en facturant ses services au prix le plus élevé ! Ce que j'ai reçu gratuitement, le temps d'une vie, qui m'empêchera de l'offrir gratuitement ? N'est-il pas surprenant de voir comment se négocient à prix d'or des tableaux de peintres qui n'avaient pas le premier sou devant eux ?

21. Quand un artiste vit dans l'opulence ou dans l'indécence, que restera-t-il de ses singeries ? Que restera-t-il de ses caprices ? Qui se souviendra de ses parades, de ses pavanes et même de ce qu'il croit le plus abouti, le plus réussi ?

22. Etre présent dans l'espace médiatique, occuper le devant de la scène, être célèbre, ... quelle importance ? Cet espace a son utilité : éclairer ce qui mérite de l'être, donner un coup de pouce, faire connaître ... Il est surtout l'image d'un monde beaucoup plus vaste dans lequel chacun offre sa part, artistique, artisanale, industrielle ou pas. Votre contribution est essentielle puisqu'elle ouvre nos oreilles, dessillent nos yeux ... et nous donne justement de ne jamais perdre de vue l'aspect médiatique de nos travaux, au sens noble d'intermédiation et donc de témoignage. Tout ce que j'entreprends me relie à d'autres, ceux qui m'ont transmis quelque-chose et ceux à qui je vais passer le relais. Dans cette longue chaîne de transmission, tout art accorde du prix au don de soi : au-delà de l'objet véhiculé, se transmet en profondeur une part d'humanité. L'objet d'art cristallise une période de gestation, un temps d'élaboration, un moment d'accouchement comme toute matière résulte d'une condensation d'énergie. Un temps précieux s'est solidifié, non pour être fossile mais pour inviter chacun à faire quelque-chose de son temps et, si possible avec l'art et la manière.

23. Qu'il s'agisse de peindre, sculpter, danser, chanter, écrire, photographier, jouer, filmer, composer, interpréter, ... le temps accordé à l'exercice d'un art jette le mauvais ennui aux oubliettes : tout ce qu'il faut de concentration, de mémoire, d'application, d'imagination ... mobilise mes facultés au point de tordre le cou à tous les discours qui maugréent et se plaignent de la longueur des jours : lancé dans une oeuvre, je n'ai jamais trop de temps pour bien faire ! Il me semble au contraire que les jours passent trop vite, que je n'aurai jamais fini à temps de me préparer, d'être à la hauteur, de savoir ma partition sur le bout des doigts, qu'elle soit d'un autre ou qu'elle émane de mon esprit. Exercer un art, être artisan de coeur, c'est éprouver combien le temps est précieux. Qu'il serait dommage d'en perdre une miette. Je pourrai donc sembler d'une nature impatiente et même toujours insatisfaite mais qu'importe ? !

24. Au fil des siècles, le statut des artistes et des artisans s'est transformé. Aujourd'hui, la diversité des situations est telle que ce statut, en lui-même, ne révèle rien. Entre celui qui vit de son art  singulier sans avoir besoin de commandes et celui qui doit passer beaucoup de temps à assurer la promotion de ses productions ; entre celle qui est à l'abri des ailes d'un mécène ou d'un Pygmalion et celle qui vit d'expédients ; entre celui qui bénéficie d'une large couverture médiatique et celui qui rassemble quelques brebis égarées ; entre celle dont la renommée dépasse les frontières et celle qui vit incognito dans un quartier où nul ne la reconnaît ... que de différences ! A chacun et à chacune son style, ses rencontres providentielles, ses avantages et ses déboires. Etre versé dans un art ne prédispose nullement à la gloire et le ciel des artistes, comme celui des saints, est peuplé d'innombrables inconnus.

25. Il est possible que j'aie à creuser pendant des années pour trouver le moyen d'expression qui me corresponde vraiment, le style dont je serai assez fier pour en parler tout à loisir. Ce qui apparaîtra comme ma signature, identifiable entre mille. Travail dans la pénombre d'un atelier, dans la chambre intime d'une conscience qui cherche une voie encore inexplorée alors que d'innombrables prédécesseurs illustres ont déjà tracé des avenues grandioses, des sentiers donnant sur des vues imprenables, des labyrinthes qui dépassent l'entendement et l'imagination.

26. Me voici, pauvre fourmi besogneuse, cigale effarée par une échéance imminente, vipère encensée mais qui rêve d'une vie de couleuvre au soleil, lézard fatigué et même harassé par le poids de l'oeuvre à terminer. On m'envie d'être artiste, adulée par les foules, brocardée par les critiques, jalousée par mes pairs ... mais sait-on dans quelle solitude je me trouve à certains moments ? Dans quel effroi me plonge cette notoriété soudaine ou cette absence de reconnaissance d'un labeur qui m'éreinte ? On m'envie d'être une écrivaine à succès mais sait-on comme je déteste me relire ? On me présente comme une star alors que je me trouve si misérable ! On me dit féline et irrésistible alors que je me trouve terriblement moche, insignifiante et vulnérable. On me croit forte et solide tandis que je ne tiens que par l'effet d'un cocktail de boissons fortes, de tranquillisants et de stupéfiants ... On me dit fragile alors que je mène une vie d'ascète et que je me plie à une discipline de fer !



Point d'orgue

extrait du livre "Essai sur le mystère de la musique" de Soeur Elisabeth-Paule Labat :

L’artiste et le saint

Aussi y a-t-il, nous l’avons vu, entre l’artiste de génie et le saint, toute la distance qui sépare l’inspiration du Dieu rédempteur et sanctificateur. Le musicien peut bien être appelé divin - les Allemands disent: le divin Schubert -, mais c’est à la façon du héros, non du saint. L’inspiration à laquelle il obéit est une motion spéciale et d’ordre naturel située au-dessus des délibérations de la raison, comme le reconnaissent les anciens philosophes et les théologiens. Mais le saint, lui, est mû par cet amour émanant du coeur brûlant qu’est, au sein de la Trinité sainte, l’Esprit mutuel du Père et du Fils dans leur éternel embrassement.
   

Le premier est porteur d’un message capable de procurer aux hommes une joie spirituelle très haute, situé qu’il est, non en deçà du péché, mais au-delà de la mort.
   

L’un apporte aux hommes une oeuvre où resplendit la clarté de l’Etre et d’où émane la vie. L’autre est lui-même le chef-d’oeuvre de Dieu, chef-d’oeuvre vivant de la vie propre et intime de son auteur et que celui-ci, inlassablement, retouche.

L’un, créant, se sépare de son oeuvre et nous savons, hélas! quelle faille il peut y avoir entre cette oeuvre imprégnée de beauté et d’amour et les déficiences morales de celui qui l’a faite. L’autre ne fait qu’un avec son oeuvre, puisqu’elle est sa personne même et sa vie. Tout en lui est amour et saisi par l’amour.
 

Le premier, captant les harmonies de l’univers, achève l’oeuvre de la création par laquelle les choses fluant de Dieu se détachent de lui, en gardant un vestige de lui. Le second, placé dans ce centre d’unité d’où jaillit et où converge toute harmonie, achève l’oeuvre de la passion du Christ...et participe au retour de toutes choses à Dieu dans l’immense mouvement de “récapitulation” du Christ  médiateur.

Le premier vit immergé dans la création et se voit coexistant à tous les êtres dans une immense solidarité. Le second, en contemplant cette création à la lumière du don de Sagesse, la transcende, mais en même temps, il communie à elle d’une manière combien plus profonde, car c’est avec la charité même de Dieu qu’il l’aime: tel saint François d’Assise: “ma soeur l’eau, mon frère le feu...” Ce n’est pas là simple poésie, langage plein de charme, mais expression d’une expérience rare et personnelle.
   

Tous deux sont aux écoutes: l’un pour capter les voix silencieuses et secrètes de la nature et des choses; l’autre, pour percevoir au plus intime de son âme la voix du Dieu qui a établi en elle sa demeure, voix qui est à la fois celle d’un père, d’un frère, d’un époux, d’un ami, d’un être enfin qui, dans l’unité de sa nature, est adorablement personnel.
   

Tous deux sont en même temps solidarisés à l’univers et cependant séparés de tout. Mais tandis que, pour le premier, ces deux pôles contraires créent un déchirement qui est une des plus poigantes souffrances du génie, pour le second, la contradiction se résout dans l’amour. Sa pauvreté en esprit, Beati pauperes spiritu, peut bien amener le saint au coeur du plus profond désert ; même dans la foi nue et l'éloignement de tout le créé, ce désert sera toujours peuplé de la plénitude de Dieu, de tout ce qui vit dans le monde invisible comme de tout ce qui, dans le monde visible, passe par son âme pour rejoindre et louer Dieu ; de sorte que, à la ressemblance de Dieu, il est seul mais jamais solitaire.
     
La musique, avons-nous dit, nous a été donnée pour célébrer, rendre grâces mais le saint est lui-même l'instrument adapté pour être, sous la touche de l'Esprit, une "louange de gloire" en réponse à un ineffable dessein d'amour éternel. Par sa communion libre à celui qui est vie infinie, il est un être essentiellement vivant, et "l'homme vivant, c'est la gloire de Dieu". (Saint Irénée)

Essai sur le mystère de la musique, Fleurus, 1963, p. 94-96




WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791) autograph "from your ...








vendredi 12 mai 2017

Lettre ouverte aux fonctionnaires français et aux agents de la fonction publique en France



Pour un délinquant, 
les premiers témoins d'humanité 
sont souvent les flics, 
les gendarmes, les juges, les éducateurs.
Ces métiers sont ingrats et difficiles, c'est vrai. 
Ils sont aussi primordiaux.
Un flic qui propose gentiment un sandwich, 
qui offre une boisson 
et qui ne traite pas un suspect comme un chien, 
on s'en souvient.
Dans un interrogatoire, 
une véritable affinité peut surgir. 
J'en ai été témoin. 
Les punisseurs peuvent être 
des semeurs de prévention. 

Lettre ouverte à mon père, 
Président de la France









Voir aussi cette excellente vidéo de Thierry Casasnovas 
sur le thème de la semence : "Sème la vie".



Chers compatriotes,


1. Cette lettre fait suite à la tribune : Eloge de la fonction publique du projet France2022. Dans les temps que nous allons vivre, chaque citoyen français aura besoin d'un surcroît de vigilance de votre part. Vous pouvez devenir des remparts contre les déferlantes qui s'abattent sur notre pays et menacent, de toutes parts, ce qui est fragile, ce qui paraît négligeable, ce qui n'a aucun prix aux yeux d'un monde en perdition mais qu'un monde qui souffre dans les douleurs de l'enfantement est capable d'apprécier à sa juste valeur.

2. Voilà plus de quarante ans, une loi scélérate, la dépénalisation de l'AVG (arrêt volontaire de grossesse), a rendu vos missions de plus en plus difficiles à exercer. En apporter la preuve complète ici serait trop long mais, en deux mots, nous pouvons affirmer ceci : à partir du moment où les plus faibles d'entre nous ne sont plus protégés par la loi, tout l'édifice juridique menace ruine puisque toute disposition protectrice prescrivant ce qui est légal est censée protéger ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre contre de plus forts qu'eux. Pour vous qui êtes aux avant-postes des crises majeures que traverse notre pays, les preuves accablantes des ravages de l'IVG sont votre lot quotidien. Nul besoin de s'y attarder ici. Vous en êtes les témoins chaque jour.

3. Cette loi inique a engendré la plus grande confusion, notamment entre le légitime et le légal. A partir du moment où l'illégitime - le meurtre d'un être humain dans le sein de sa mère - est rendu légal, toute action illégitime s'engouffre dans la brèche ouverte pour réclamer son dû, ses dérogations, ses passe-droits, ses privilèges : des arguments qui la justifient, des dispositions juridiques qui l'entérinent, des mensonges qui la revêtent de légitimité factice. Et ce, au nom de principes généraux tournés en dérision : la liberté, l'égalité, la fraternité, ... Au nom de la liberté pour une femme de disposer de son corps, lui est accordée la liberté de faire exécuter celui qu'elle porte. Le comble de l'horreur quand on prend le temps d'y réfléchir et une forme de suicide pour elle qui se prive ainsi d'un trésor, en dépit des apparences immédiates car l'enfant, même non désiré ou inattendu, même gravement handicapé et a fortiori en bonne santé, n'est pas seulement un poids, une charge, un souci, une contrainte, ... mais il porte un message d'une importance capitale pour qui veut bien l'accueillir et l'entendre.

4. Quand l'illégitime devient légal, on peut s'attendre à ce que le légitime devienne illégal ou que le légal perde sa légitimité et son autorité. Par exemple, s'opposer à la culture de mort qui a envahi la France depuis 1975 (voir à ce sujet la tribune : "Abolition de la mort des tout petits en gestation"). Opposition qu'un Etat dévoyé cherche de plus en plus à sanctionner et même à rendre passible de condamnation pénale. Autre exemple d'une brûlante actualité : la multiplication des propositions pornographiques dont la loi est censée protéger les mineurs mais que nul rempart sérieux ne préserve désormais.

5. Pourquoi est-il devenu si difficile en France d'enseigner, de secourir, d'arrêter les actes de violence, de protéger les enfants maltraités, de défendre les sans grades et les exclus, de faire respecter de simples règles de civilité ou de politesse usuelle, de sanctionner les actes délictueux ... ? Serait-ce parce que le monde tendrait inéluctablement vers un état de délabrement ? Serait-ce en raison de l'entropie de tout système physique fermé ? La vie n'est-elle pas cependant, par essence, néguentropique ? Notre monde, à l'échelle humaine, n'est-il pas ouvert ? Serait-ce parce que les hommes et les femmes de ce temps seraient pires qu'autrefois ? Parce que tout fout le camp ? Parce que les fonctionnaires ne travailleraient pas assez ? Parce que nos sociétés tendraient vers toujours plus de violence manifeste ? (ce qu'une étude statistique dément formellement sous le titre "paradoxe de la violence" dès lors que l'on ne tient pas compte de la violence la plus cachée ou tout simplement niée comme l'avortement ou le trafic d'organes ou l'esclavage).

6. A la réflexion, on s'aperçoit que les réponses à courte vue ne rendent pas compte du phénomène engendré par la libéralisation de l'avortement : lorsque les personnes sans défense ne sont plus protégés par la loi, chacun d'entre nous risque, un jour ou l'autre, de tomber sous le coup d'une condamnation imbécile, d'une action meurtrière, d'une basse manoeuvre et tout délinquant potentiel ou actif aura beau jeu ensuite de comparer ses méfaits à ceux de médecins criminels. Quand il aura brûlé des voitures, braqué une banque, détroussé de riches marchands ou de pauvres vieillards, violé, ... il pourra toujours se placer au-dessus de ces bourreaux des temps modernes et faire valoir qu'il n'a pas été jusqu'à tuer un sans défense dans le sein de sa mère. Comparaison orgueilleuse et scandaleuse, évidemment, mais qui ouvre la porte d'une rédemption possible : quand des professionnels de santé sans âme ou épris de fausse générosité s'en prennent sans remord à des vies pleines de promesses, même celui qui a du sang sur les mains par égarement, vanité ou violence trop ordinaire, peut espérer sortir un jour d'un cycle infernal à condition de trouver sur son chemin un visage d'humanité et d'entendre enfin une parole qui lui montre une direction salutaire : le meurtre n'est jamais la fin d'une histoire dès lors que le pardon parvient à frayer son chemin au milieu des embûches que dressent sur son passage l'ignorance, l'orgueil, le ressentiment, l'amertume ou l'arrogance. 

7. Comment pouvez-vous, dans l'exercice de vos fonctions publiques enrayer l'hémorragie qui entraîne la France et l'Europe dans une impasse et les conduit au suicide tout en les incitant à se replier ? Chacun d'entre vous trouvera les moyens qui conviennent le mieux aux contraintes et aux latitudes de sa situation. Soyez "prudents comme des serpents et simples comme des colombes" (Mt 10, 16). Ne prenez pas le risque de vous exposer en solitaire et dangereusement même pour une cause aussi noble que de défendre tous ceux qu'un monde devenu fou élimine ou tente d'éliminer. N'agissez pas seul, non seulement pour vous soutenir mutuellement mais encore pour déterminer ce qu'il convient de faire au cas par cas.

8. Votre champ d'action est beaucoup plus vaste qu'il n'y paraît au premier abord. Vous pouvez donc agir en faveur de la vie de tous sans mettre en péril votre carrière et ceux qui dépendent de votre travail car il ne s'agit pas d'abord de contester des dispositions légales mortifères mais de faire en sorte qu'elles ne trouvent plus d'écho dans la société civile et tout fin connaisseur de la fonction publique sait que le soi-disant impossible pour ces haut-gradés (qui se réservent les coups de maître, les interventions d'éclat à fort retour d'investissement ou les manoeuvres subtiles qui étoffent le réseau des bons copains ...) devient possible pour un agent lambda de la fonction publique qui ne se laisse pas arrêter par des freins imaginaires et n'a cure de sa renommée : un texte de loi mauvais, un règlement administratif médiocre, ... n'empêche pas un fonctionnaire intelligent et déterminé d'agir dans le sens d'un bien supérieur et ne lui interdit pas de "semer la vie" jour après jour. En l'occurrence : choisir la vie d'un être en gestation plutôt que de se rendre complice de son élimination et de sa destruction.

9. Voici l'un des points de vigilance qu'il vous faudra tenir, contre vents et marées : vous "battre" sans relâche pour que le gouvernement français ne réduise pas le nombre des agents de la fonction publique à la portion congrue. Une conception erronée de l'organisation des sociétés dites avancées tend en effet à vouloir réduire de plus en plus la fonction publique en usant de mille prétextes aussi fallacieux les uns que les autres : possibilités nouvelles d'automatiser certaines tâches, manque d'argent public, amélioration de la qualité des services par mise en concurrence, ... Chacun de ces arguments peut être valable dans un contexte donné et peut être contesté dans d'autres situations. Vous "battre" intelligemment, bien sûr, c'est-à-dire en veillant toujours à ne pas braquer contre vous les bénéficiaires de vos services. Vous "battre" avec honnêteté c'est-à-dire en justifiant vos actions par des raisons solides qui se fondent non pas seulement sur la défense de vos propres intérêts mais aussi sur la sauvegarde de l'intérêt général, du bien commun et toujours en vue d'un bien supérieur ou d'un moindre mal. Cette approche permet d'échapper au manichéisme qui prétend tout régler par l'opposition entre le bien et le mal car, si cette séparation est essentielle pour le discernement et pour le jugement, toute conduite effective et affective honnête trace le plus souvent son chemin dans un maquis où se mêlent le bon grain et l'ivraie, un maquis où il faudra choisir entre deux maux le moindre, entre deux biens, le meilleur.

10. Dans votre défense d'effectifs et de moyens bien calibrés, ne vous laissez jamais intimider par les tenants d'une dérégulation touts azimuts qui estiment que tous les autres sont de trop sur cette planète sauf ... eux-mêmes ! Ne vous laissez jamais impressionner par tous ces indispensables qui ne voient dans les autres que des pions interchangeables, des coûts soi-disant insupportables et qui oublient de mettre en balance les dépenses et les recettes. S'ils savaient compter, il y a longtemps qu'ils auraient mis fin au massacre des saints innocents ... Si leurs raisons étaient vraiment valables, ils auraient, depuis belle lurette, fait en sorte que la dette publique ne s'envole pas ; ils n'auraient pas, dans certaines circonstances scandaleuses, brader le patrimoine public au bénéfice de quelques intérêts privés tout heureux de mettre la main sur des pépites de grande valeur ou des poules aux oeufs d'or de la France.

11. Deuxième point de vigilance : résistez sans crainte et farouchement à toute tentative de prédation de l'espace public et de ses trésors par des acteurs qui vont profiter de la faillite imminente de l'Etat français pour s'emparer des "joyaux de la couronne". Comme en 1940, lors de l'évasion de l'or de la Banque de France, vous aurez à faire preuve de beaucoup d'ingéniosité et de sang froid pour mettre à l'abri du vol ce qui peut être encore sauvegardé. Des missions exaltantes vous attendent : veiller sans cesse sur un patrimoine français exceptionnel, accumulé par des générations d'hommes et de femmes prévoyants qui pensaient à long terme et ne raisonnaient pas seulement en terme de rentabilité maximale à très court terme.

12. Méfiez-vous comme de la peste de ces prestataires externes sans scrupules, de ces consultants malhonnêtes (il en existe d'honnêtes, bien sûr) qui fourbissent des formules magiques et prétendent connaître mieux que vous le fonctionnement d'une administration et qui ne pensent, au fond, qu'à plaquer leurs recettes peut-être excellentes pour une organisation soumise à une concurrence internationale mais sans intérêt pour un service public de qualité qui n'a pas pour point de mire un profit juteux au détriment des plus pauvres mais qui est d'abord animé par le souci de répondre aux plus nécessiteux comme à ceux qui ne manquent de rien en respectant un principe élémentaire d'équité et selon des procédures dont les contraintes manifestent de nobles exigences. S'il est certes possible aujourd'hui de bâtir des systèmes d'information performants, rien ne remplacera jamais le sens de l'écoute, la capacité de voir d'un coup d'oeil exercé ou d'entendre d'une oreille attentive le besoin primordial d'une personne sollicitant vos services ou livrée à votre pouvoir régalien.

13. Dans toutes vos missions, pensez à redécouvrir ce que l'on appelle "la grâce d'état", ce supplément d'âme, d'esprit et de vigilance qui permet à toute personne missionnée par une autorité digne de l'être d'accomplir des merveilles dans l'exercice de ses fonctions. Cette grâce d'état communique à qui veut bien la connaître, la recevoir et s'en saisir, des "pouvoirs" qu'il n'aurait pas autrement. En un mot, d'exercer les sept dons de l'Esprit Saint : don de conseil, d'intelligence, de science, de sagesse, de crainte, de force et de piété, dons qui ne sont pas réservés aux seuls baptisés (puisque l'Esprit souffle où Il veut) même si les sacrements du Baptême et de la Confirmation permettent d'en accueillir toute la plénitude et de leur faire porter beaucoup de fruits de paix, de justice, de joie.

14. En découvrant toujours plus ce qui fonde votre rôle et ce qui peut soutenir votre action, vous pourrez rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est en Dieu sans vous laisser brider par des dispositions hasardeuses et même nuisibles. Rien ne doit vous empêcher d'exprimer vos convictions profondes, que vous soyez avec un patient, un élève, un contribuable, un contrevenant, un quidam ... car sinon s'établit une frontière artificielle entre les croyances qui seraient tolérables dans l'espace public et celles qui ne le seraient pas ! comme s'il était plus dangereux d'annoncer la Résurrection du Christ que de prôner un régime alimentaire, une ablation d'organe ou une contraception chimique finalement nuisibles, de se dire musulman que de croire qu'un élève est un cancre, qu'il le restera et de lui asséner cette "vérité" qui démontre simplement l'incapacité de l'enseignant à porter un regard d'espérance sur un sujet encore jeune ; comme s'il était plus répréhensible de vous affirmer juif pratiquant ou membre de toute autre religion que de mettre en oeuvre une méthode de soin, d'éducation, de contrôle ... aux fondements incertains comme le sont la plupart des méthodes profanes d'origine humaine : excellentes dans certains champ d'application, elles peuvent s'avérer inopérantes et même désastreuses en dehors de ces champs. Une simple croyance aura pu vous faire passer d'un champ d'application valable à un autre, totalement incongru et ce, sans crier gare. 

15. Ainsi, prenez le temps d'approfondir ce qui vous anime au tréfonds de vous même. Vous rencontrerez, en vous et autour de vous, une multitude de croyances de tous ordres que nombre de citoyens seraient bien en peine de valider ou d'invalider. Ainsi, croire en ce début de XXIème siècle que les croyances dites religieuses seraient les moins aptes à occuper l'espace public est bien une croyance et une idée fantaisistes ! Les croyances religieuses sont de celles qui ont été le plus éprouvées au cours des siècles et bien davantage qu'une ribambelle de croyances païennes et profanes qui plastronnent dans le domaine public en se targuant d'être indubitables ou en se présentant comme remèdes quasi universels quand elles n'ont pas le toupet de prétendre balayer des vérités d'une très grande solidité et admises par les générations antérieures, depuis la nuit des temps.


16. L'année 1975 a inauguré pour la France et l'Europe une nouvelle ère glaciaire : le droit et la justice ont été fort mis à mal sous les coups de butoir de fanatiques qui, sous couvert de bons sentiments, ont abattu un sanctuaire qui aurait dû demeurer inviolable. En détruisant le rempart de la loi contre les fossoyeurs de la vie naissante et marchands de fausse monnaie, l'Etat français a livré les tout petits aux turpitudes des hommes et des femmes, les a offerts en pâture à une médecine devenu folle. En instaurant le recours légal à l'IVG, il transformait des tueurs de facto en bourreaux de jure. Ce coup fatal porté à l'édifice du droit positif français fut rendu possible par l'entremise d'une juriste de talent qui défendit avec bravoure et panache ses options mais qui "réussit" en agissant par incompétence : alors qu'il aurait fallu confié la défense des femmes et des enfants à une avocate de métier, celle-ci fut prise en main par une magistrate qui n'avait pas toutes les clefs nécessaires et qui ne possédait pas toutes les armes requises pour ce combat.

17. Les partisans de la dépénalisation de l'avortement ont crié victoire mais, depuis des années et de plus en plus aujourd'hui, les fonctionnaires et agents de la fonction publique en France paient un très lourd tribut à ce qu'il faut bien reconnaître maintenant comme une défaite de la pensée, une démission de l'Etat français, une reddition de la nation française, une capitulation honteuse. Tandis que quelques-uns d'entre eux se trouvent désormais aux avant-postes d'une guerre titanesque livrée contre les jeunes générations par les tenants d'un ordre mortifère et contre les personnes hors course d'une mondialisation échevelée, prônée par ceux qui trouvent quelques avantages à voir détruit tout ce qui est faible à leurs yeux et ne mérite aucune place dans leurs jeux de brutes épaisses, d'autres agents de la fonction publique - la très grande majorité - sont tous les jours sur la brèche pour colmater les dégâts sans nom que provoque en cascade le droit de tuer un être humain en gestation : jeunesse déboussolée, désoeuvrée, défoncée ou démolie (quand d'autres jeunes, heureusement épargnés, brillent de mille feux) ; femmes, hommes et territoires à l'abandon ; personnes isolées ; parents désorientés, familles détruites ; entreprises coulées (y compris par des instances censées les protéger ... ), corps intermédiaires à la dérive, nation en ruine. Une multitude d'agents de la fonction publique se retrouvent confrontés à des situations qui dépassent leur champ de compétence naturel et les sollicite de plus en plus sur le plan surnaturel : les souffrances sont si grandes et parfois si cachées, les violences si gravess, qu'ils leur faut agir avec des moyens qui ne relèvent plus seulement de l'art maîtrisé et de méthodes professionnelles en adéquation avec leurs missions premières mais plus encore d'une grâce (heureusement surabondante) capable de défaire des noeuds ou de résoudre des situations inextricables à vue humaine.

18. Oui,  vous êtes appelés à livrer bataille et à résister alors que s'étendent à perte de vue les champs de ruine laissés par la guerre sans nom menée contre les personnes sans défense et les tout-petits et même une grande partie de la jeunesse de notre pays car, à bien y regarder, les visages les plus sordides de la mondialisation déloyale sont les masques d'un crime répandu à la surface du globe terrestre dans tous les pays où la peur de l'avenir, de la surpopulation et de la misère a choisi de se dissoudre dans l'avortement. Si la France et l'Europe doivent aujourd'hui faire face à une concurrence sauvage et déloyale c'est aussi parce qu'en maints endroits l'enfant à naître, le nourrisson, les enfants, les écoliers, les adolescents ne sont plus considérés comme un trésor inestimable mais comme des boulets. Ici et là, et de plus en plus, le meurtre sélectif élimine de préférence les enfants porteurs d'un trouble génétique ou, tout simplement, d'une paire de chromosome X puisqu'au XXIème siècle l'humanité n'est pas encore sortie de la barbarie et préfère la venue au monde d'un garçon à celle d'une fille de sorte que non seulement la population de certains continents vieillit mais se déséquilibre dangereusement, en Chine et en Inde notamment.

19. Derrière les biens et services frelatés, les marchands de sommeil, les vols de matériau et d'armes, les mutilations des corps, les trafics en tout genre, la diffusion massive de contenus pornographiques ... se cachent ceux qui voient l'être humain comme un pion sur l'échiquier d'un marché gigantesque où tout se vend et tout s'achète, où n'ont droit de cité que les valeurs au fort potentiel rémunérateur à la minute et, si possible, de manière automatique via des algorithmes sophistiqués au service d'une finance qui n'a cure du vivant et ne travaille qu'à l'extension de son règne abominable. Tout ce qui demande du temps pour pousser, grandir, se développer ... est rejeté comme appartenant à un passé révolu, celui de la patience nécessaire, de l'intelligence lente, de l'économie de bon père de famille ou de moine priant et laborieux. A ce train-là, tout ce qui exige plus d'une demi-minute de réflexion, d'écoute, d'attention ... un tant soit peu d'humilité, tout cela est voué aux gémonies puisqu'il serait démontré (?) qu'il faut désormais aller vite, courir, foncer, arriver le premier quitte à se doper ou à tricher pour parvenir à cette seule fin : gagner à tout prix, satisfaire les appétits les plus vils.

20. Vous pouvez rester et devenir toujours davantage des remparts contre l'oppression d'un monde de fureur qui ne manque pas de vous reprocher vos lenteurs, vos pesanteurs, vos sécurités et vos garde-fous. Ce monde-là essaiera de vous détruire par tous les moyens mais n'écoutez que votre conscience : elle vous dira dans le secret de votre coeur que si vous ne résistez pas à la tornade arnacho-libérale-libertaire et à l'ouragan liberticide, vous serez engloutis à votre tour comme ces vieux chênes auxquels on préfère des essences à pousse rapide, quitte à détruire des écosystèmes multiséculaires. Résistez avec l'humilité du roseau. Vous pouvez plier en apparence mais tenir bon et ferme chaque fois qu'une vie humaine est en jeu, qu'un être vivant est en danger, méprisé ou massacré et que vous savez qu'un plus fort est en train de vouloir se débarrasser d'un plus petit que lui en ces temps de crasse ignorance où les hommes et les femmes ont perdu le chemin de la fontaine de jouvence, à Saint Malon-sur-Mel en Brocéliande ou ailleurs.

21. Prenez le temps de vous former de manière approfondie et continue : les temps de formation sont des moments précieux pour prendre du recul, sortir d'un quotidien devenu harassant ou angoissant. Rejoignez des femmes et des hommes capables de comprendre les difficultés que vous affrontez parce qu'ils évitent de parler de vous comme des profiteurs d'un système : les missions que vous exercez demandent une stabilité, une régularité que le monde échevelé des affaires et des normes fluctuantes, voire aberrantes, ne veut plus défendre pour laisser libre cours aux dérèglements qui font le miel du petit nombre tirant son épingle du jeu, tous ces hors la loi qui contournent astucieusement les dispositions légales ou en promeuvent de favorables à leurs trafics pour parvenir aisément à leurs fins : enrichissement personnel sur le dos de la collectivité et des plus démunis, ascension sociale fulgurante, accumulation de privilèges exorbitants, ... L'actualité récente, en 2017 comme en 2018, ne manque pas d'illustrer ce phénomène ... et ce ne sont pas les prescriptions légales qui suffiront, seules, à dédouaner ceux qui ont commis des forfaits scandaleux ... Un détournement de fond ou un abus de bien social, qu'il soit prescrit ou pas, demeure délictueux même s'il échappe à toute sanction judiciaire. Celui qui a ainsi semé la mort trouvera un jour sur son chemin la récolte qui s'y rattache à moins qu'il ne se repente.

22. Vous êtes l'incarnation de la loi : sans votre présence, la loi est lettre morte. Il vous appartient de l'interpréter et de la rendre vivante. Qu'un vent de liberté vous pousse sans cesse à tendre vers l'esprit de la loi juste qui dépasse largement sa mise en mots. Ne vous croyez ou ne vous sentez jamais dans l'obligation d'aller contre votre conscience : si une disposition vous paraît mettre à mal la dignité ou l'honneur d'une personne, bafouer ses droits légitimes, enfreindre une loi supérieure, sentez-vous libre de ne pas l'appliquer et de la récuser en dépit d'un raccourci malheureux (qui oubli le rôle de l'interprétation dans toute application d'une loi). Il ne s'agit pas, en l'occurrence, de transgresser une loi de la République française mais de faire en sorte qu'aucun texte, que nulle interprétation ne vienne piétiner et ravager la vie d'un homme ou d'un corps intermédiaire, fût-il encore en gestation ou moribond, sous prétexte d'appliquer une règle à la lettre. Rien ne doit vous contraindre à préparer ou à commettre un mal que votre conscience éclairée a réprouvé, ce mal fût-il autorisé par une loi. Voyez toujours plus loin que les esprits bornés qui raisonnent seulement en espèces sonnantes et trébuchantes, qui n'envisagent l'avenir qu'avec désespoir, qui ne savent pas être magnanimes, qui ne résolvent les problèmes qu'en désignant des boucs émissaires faciles puis en les éliminant. 

23. En dépit des apparences, vous êtes détenteurs d'un pouvoir indispensable et d'une rare puissance : le pouvoir de dire NON, de vous opposer à ce qui enfreint la règle juste. Tout en restant en poste, vous avez la faculté de désobéir à un ordre inique, de refuser de participer à une action qui ne respecte pas un principe qui vous tient à coeur alors que tant de personnes se taisent et se couchent, craignant pour leur emploi ou pour leur réputation.

24. Certains présentent la mise en cause des protections dont vous bénéficié comme une oeuvre de justice : pour eux, il faudrait que vous soyez soumis aux mêmes risques que tous les autres professionnels. Méfiez-vous de leurs raisonnements et sachez mettre en pleine lumière ce qu'ils cachent : la volonté folle de transformer chaque être humain (hormis eux-mêmes) en monnaie de singe, en esclave aux ordres d'une machine qui tourne à vide ou ne produit plus que des "biens" frelatés, des poisons qui détruisent brutalement notre jeunesse (boissons alcoolisées déguisées en jus anodins par exemple) ou les patients à petit feu (médicaments aux effets secondaires redoutables, entre autres).

25. Restez cependant très vigilants : vos protections n'ont de sens et d'avenir que dans la mesure où elles demeurent au service de tous, de l'enfant dans le sein de sa mère au vieillard grabataire en passant par l'infirme, le malade, le pécheur condamné par de fausses philanthropies ou des jugements mal étayés. Si vous n'y prenez garde, vos protections seront balayées par ceux qui s'abreuvent au même marigot : celui des eaux usées. Des errements de ce monde, ils n'ont pas une vision claire et s'imaginent y remédier par des actions coupées de la vérité tout entière. De leurs propres turpitudes, ils déduisent des systèmes de pensée et des modèles d'action qui ne tiennent pas compte à la fois des limites du génie humain et de ses capacités inventives. Soit ils développent des utopies dévastatrices, soit ils réduisent de manière aberrante le champ des possibles. Ils diront : chacun est libre de choisir son sexe ou de préférer la mort de l'être en gestation sans voir qu'aller à l'encontre d'un donné génétique risque de générer d'immenses souffrances tandis que choisir la mort c'est ne laisser aucune chance à l'inattendu et c'est ajouter un fardeau sur les épaules de qui a besoin, d'abord, d'être aidé et soutenu en situation de détresse. Voir à ce sujet la tribune : "Création d'une monnaie de service et d'abondancee" du projet France2022.

26. Méfiez-vous, en particulier, de ceux qui ont une vision erronée de la souffrance humaine. La percevant comme un mal absolu, ils pensent qu'elle doit être éradiquée par n'importe quel moyen, même le pire. Ils refusent de s'interroger d'abord sur sa signification ou même de rechercher ses vraies causes. Il leur faut un bouc émissaire immédiat, un ennemi à éliminer : l'enfant à naître, un microbe, un voisin, un pays, une ethnie, un type d'homme ou de femme, un signe astrologique, une relation, un système, ..., une religion, Dieu. Ils en viennent à poursuivre tout ce qui est cause, à leurs yeux, de cette souffrance sans penser qu'elle peut résulter d'un enchevêtrement difficile à démêler et que cela vaut toujours la peine de prendre le temps d'écouter le fond de la détresse humaine quand l'urgence ne commande pas d'agir dans l'instant. Dès que l'on accepte de travailler ainsi, il n'y a jamais d'urgence à tuer un enfant dans le sein de sa mère et l'on prend conscience qu'il vaut mieux un délai dépassé ouvrant le risque noble de lui avoir laissé la vie. Vision certes idéale mais incomplète puisque cela ouvre aussi le risque d'un meurtre encore plus dangereux pour la femme et illégal sur un territoire mais peut-on, en vertu de ce versant si sombre de la (fausse) liberté humaine, autoriser un médecin français à mettre en oeuvre ce que des personnes peu scrupuleuses accomplissaient avant la dépénalisation de l'avortement ?

27. Agissant au coeur de la pâte humaine, vos missions réclament une très grande intelligence des situations (*). Chaque personne qui s'adresse à vous ou que vous devez prendre en charge a sa propre histoire, son propre tempérament, ses limites, ses vulnérabilités ... Tandis qu'un rappel ferme à la loi sera nécessaire pour celui dont l'assertivité est bancale, un autre aura besoin de toute votre patience pour sortir d'une impasse qu'une multitude de raisons aura générée.

(*) Intelligence des situations qui évite l'absurdité d'un comportement simplement dicté par le respect scrupuleux d'une procédure jusqu'à l'aberration de l'arrestation au Taser d'une octogénaire ... (Article du Parisien le 17 août 2018).

28. Ne vous laissez jamais abattre par le sentiment d'être dépassé par certaines situations : le monde contemporain a hérité d'une multitude d'approches qui permettent, un jour ou l'autre, de débloquer les plus inextricables au premier abord. Vous trouverez autour de vous des intervenants remarquables, qu'ils soient dans le public ou le privé, salariés ou bénévoles. Ils ont à coeur de venir en aide aux plus démunis comme aux plus nantis, sans considération de religion, de race, de choix politique, de fortune, de position sociale ... Pour eux, seul compte le souci d'accompagner avec intelligence, respect, délicatesse, discernement ... celui qui n'en peut plus, que cela soit manifestement le résultat de ses propres égarements ou que cela résulte d'une histoire douloureuse dont il est principalement la victime.

29. La crise dite des "gilets jaunes" montre à quel point la France a besoin d'une fonction publique très solide alors que plusieurs voix entonnent le refrain d'un libéralisme destructeur : celles-ci voudraient que notre pays soit livré à tous les vents d'un commerce international qui se moque de tout patrimoine comme de l'an quarante. Il ne jure qu'en terme de flux, d'échange, de mouvement. Tout ce qui a quelques racines, qui est immobile, silencieux, ... lui fait horreur. Il lui faut du bruit, de la fureur, des imprécations, des vociférations. Du Jardin des plantes à l'Arc de Triomphe, des colonnes de marbre aux grilles en fer forgé, il lui faut tout démolir. Ce commerce-là ne jure que par les courants d'air. Il ne supporte pas qu'un homme lui résiste en restant debout. Il lui faut des hommes et des femmes, couchés, vautrés, rampant ; des loques qui s'empiffrent. Caricature, certes !

30. Au milieu de ce capharnaüm, d'un déluge de consommations qui épuise à grande vitesse les ressources rares de la planète, vous voici placés comme vigies, sentinelles et phares. Que les flots déments s'acharnent contre vous, vos fonctions et vos rôles, quoi d'étonnant ? mais le bateau en détresse, la maison ou la voiture en feu, la route encombrée, l'accidenté, l'ignorant, le malade, le désorienté, la victime, le commerçant dont la boutique a été dévastée par des sauvages ... sont tout heureux de vous rencontrer en chemin quand tant d'hommes affairés n'ont plus le temps de rien, sinon d'accroître leur fortune, en passant le plus vite possible à côté, le plus loin possible, de celui qui n'en peut plus, qui a besoin d'aide, qui n'y arrive pas tout seul.